24 février 2014

Dites plutôt mu

Parfois, mu est la clé.

Ne vous laissez pas prendre au piège d'un argument fallacieux.


Certains personnages politiques et certains chroniqueurs semblent s'appliquer diligemment à employer toute la gamme des raccourcis intellectuels pour intriguer la population et l'amener à se rallier à leurs positions. Un petit tour sur Twitter devrait suffire à vous en convaincre, si vous en doutez.

Voici quelques exemples.



Ici, monsieur Legault s'offre le luxe de deux sophismes en moins de 140 caractères. En écrivant «piger 500$ de plus dans les poches des familles», il emploie la méthode qu'on appelle argumentum ad odium. En réalité, le chef de la Coallition Avenir Québec fait allusion à diverses mesures contenues dans le dernier budget du gouvernement du Parti québécois. S'il expliquait ces mesures, il pourrait y avoir matière à débattre. Or, un débat, c'est précisément ce qu'on souhaite éviter quand on utilise un argument fallacieux. Monsieur Legault choisit donc une formulation clairement péjorative, de telle sorte qu'il semble évident qu'on doive condamner ce qu'il décrit. Bref, dit de cette façon, c'est difficile à défendre.

L'autre passage intéressant de ce message est constitué des mots «plutôt que». Par ces mots, monsieur Legault laisse entendre que «réduire les dépenses» est la seule alternative à l'odieux de ce qu'il décrit ensuite. Cet argument fallacieux s'appelle le faux dilemme, ou l'exclusion du tiers. En opposant deux solutions comme si elles étaient les seules possibles, et en présentant l'une d'entre elles comme étant inacceptable, monsieur Legault ne laisse aucune autre possibilité que d'accepter celle qu'il préconise.

Il sous-entend en même temps que madame Marois manque de courage, ce qui lui appartient. Ce n'est pas l'objet de ce billet que de commenter les positions de l'un ou de l'autre.



Le conseiller municipal Marvin Rotrand pose cette question : les conseillers de Projet Montréal continueront-ils d'être les mauvais garçons du conseil municipal et de dénoncer tout le monde, tout le temps? Ainsi, il commet l'argument fallacieux qu'on appelle plurium interrogationum. En vérité, en donnant l'illusion de poser cette question, le conseiller affirme que les conseillers en question dénoncent «tout le monde, tout le temps».

Il est assez évident qu'on ne doit pas répondre à cette question, qu'il s'agit d'une question rhétorique, mais ce n'est pas cet aspect de la question qui fait sa nature fallacieuse. C'est plutôt qu'elle présuppose que jusqu'à présent, le comportement décrit était une réalité, sans possibilité de remettre en question cette notion, que monsieur Rotrand pourrait aussi bien avoir tirée de son chapeau — c'est précisément ce qui la rend malhonnête.

Je viens de vous en glisser une, sournoisement : la phrase précédente laisse croire que Marvin Rotrand possède un chapeau. Poursuivons.

Supposons, pour finir, une question différente reprenant la même tournure fallacieuse : avez-vous arrêté de fumer du crack? Si vous me répondez non, c'est que vous avez continué à fumer du crack, et je n'ai aucunes félicitations à vous faire. Par contre, si vous me répondez oui, bravo! Cependant, vous concédez du même souffle que vous avez déjà fumé du crack. Si vous n'êtes pas le maire de Toronto, on vient d'en apprendre une bonne à votre sujet...

Pour éviter une telle impasse, dites plutôt «mu». Il s'agit, pour faire une histoire courte, d'un mot provenant de la tradition zen. Cette réponse ne constitue pas une réponse positive ni une réponse négative, mais bien un rejet de la question en raison de son incohérence. Dans ce cas-ci, mu serait la réponse appropriée pour souligner l'invalidité d'une présupposition erronée que contient la question.

Ceux qui connaissent ce mot comprendraient alors que vous n'avez jamais fumé de crack. Les autres se demanderaient peut-être si vous ne viendriez pas d'en fumer à l'instant.

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