21 août 2013

Devant chez moi...

La fenêtre du milieu était celle de ma chambre, et j'y ai fait référence autrefois,
mais ce n'est pas celle dont il est question dans ce qui suit. Non! Aucun rapport. Oh well.

Elle circulait à vélo sur Berri, vers le nord. Je faisais de même, à pied. J'ai tourné sur St-Joseph pour aller monter St-Hubert. Elle a fait la même chose, puis elle a commencé à marcher à côté de sa monture, sur le trottoir opposé. J'entre chez moi, et dès que j'ouvre les rideaux, je remarque qu'elle a traversé la rue et se trouve juste devant. Elle semble chercher quelque chose en plissant les yeux. «Peux-tu m'aider? Je suis affreusement myope et je cherche une adresse. C'est le 5170, rue St-Hubert.» Mon regard glisse de quelques degrés vers la droite et j'aperçois l'adresse en question inscrite sur l'édifice qui se trouve en face. «Sais-tu c'est où?» Je ramène les yeux dans sa direction, en disant oui. «Veux-tu me dire c'est où?», demande-t-elle après que j'aie gardé le silence un moment. «Je suis myope, moi aussi, mais je te vois très bien. J'aurais d'ailleurs envie de te dire que c'est ici même!» Je me félicite de ma réplique savante. Elle aurait été bien utile si cette jolie jeune femme tatouée m'avait adressé la parole au lieu de traverser la rue vers le 5170.

Je dois interrompre la phrase que je suis en train d'écrire à Sandra sur Facebook. Je reste interdit, l'espace d'un ou deux ou trois instants 
— je ne sais pas combien d'instants. Ma mémoire à court terme se met au travail : qu'est-ce que je viens de voir passer sur le trottoir à vive allure? J'ai la diffuse impression qu'il devait s'agir de la femme de ma vie. Sans attendre une seconde de plus, je bondis, j'enfile mes souliers de marche et je cours dehors. Je me lance à la poursuite de ma vision, que je ne vois plus. Pendant que je trotte comme un joggeur débutant, je réfléchis à toute vitesse : si elle est passée ici, elle se dirige peut-être vers le parc Laurier, circumnavigué par de nombreux coureurs; ou peut-être allait-elle vers le viaduc qui mène à la Petite-Patrie, si c'est là qu'elle habite; ou encore... Quand je reviens m'asseoir devant mon écran d'ordinateur, je constate que j'ai pourchassé cette impalpable fabulation qui portait des shorts fluo et que j'ai oublié Sandra pendant près de trente minutes. Je lis la phrase que j'avais laissée inachevée dans notre discussion, et je n'ai plus la moindre idée de ce que je m'apprêtais à lui écrire.

Je dois m'y prendre à deux fois pour comprendre ce que fait la personne qui s'approche sur le trottoir, ce samedi matin. Cette jeune femme semble en train de secouer vigoureusement sa mince chemise carottée, qu'elle porte nouée à l'avant. Elle est accompagnée d'un homme et d'un chien, un trio dont l'allure étonnerait moins dans un trailer park du sud des États-Unis — ou du moins, dans l'image que je me fais d'un tel endroit. L'homme, cinquantaine, casquette usée et carrure trapue, s'occupe de séparer le pitbull du déchet que celui-ci vient de trouver au bord de la rue. Elle, début trentaine, shorts en jeans presque blancs, 
chemise telle que décrite et repousse noire de cinq centimètres dans ses cheveux d'un blond fatigué, marche nonchalamment en mangeant des Cheerios tirés d'une boîte qu'elle transporte sous son bras gauche. De la même main, elle tient un pot Mason rempli d'eau — ou de moonshine. Une autre grosse poignée de céréales, et la voici qui recommence à secouer frénétiquement sa chemise. Maintenant je comprends : elle a encore échappé des Cheerios dans son soutien-gorge. Les périls de l'avoine en petites rondelles.

C'est ainsi qu'on s'explique pourquoi je lave compulsivement mes fenêtres, à l'avant, qui donnent sur St-Hubert, coin Laurier.

Mais pas la fenêtre de la photo, qui est plutôt sur St-Laurent, coin Ontario.

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