Une violente discussion a éclaté aujourd'hui concernant le mot «presque». J'ai peine à y croire, mais nous en sommes rendus là.
Je vous présente d'abord la mise en scène, puis je tenterai de vous présenter des exemples. Le débat n'a pas connu de réel dénouement, outre un désaccord complètement futile et entendu qui nous a laissés pliés de rire pendant un bon moment. Par dépit autant que par dérision.
Nous revenions d'une promenade sur l'heure de lunch. J'avais le chronomètre pour que l'heure soit une heure pile, et pas plus, job oblige. Simon a dit : «Il doit rester... trois minutes?» J'ai répondu : «Presque.» Simon a dit : «Il doit en rester quatre.»
C'est ici que la conversation a dérapé.
J'ai soutenu que «presque» signifiait nécessairement une valeure inférieure. Il nous restait en effet un peu plus de deux minutes, ce qui est inférieur à trois.
Simon a plutôt affirmé que «presque» n'était pas nécessairement inférieur, et que son estimation de «quatre minutes» était justifiée.
Plusieurs exemples ont été avancées par nous deux et par nos collègues qui n'ont pas vraiment eu le choix que de nous entendre.
Aux dards, par exemple, rater la cible ne considérerait pas un résultat inférieur, mais simplement négatif, selon certains. On dira cependant que forcément, si on tente d'obtenir un certain pointage et qu'on obtient moins, le résultat est inférieur aux attentes.
L'objectif de revenir à temps est beaucoup plus approprié à la situation. On s'entend que le but sous entendu est de ne pas être en retard. Revenir cinq minutes avant l'heure ciblée comble l'objectif, et même l'excède. Arriver quelques minutes plus tard correspond à un échec. Donc un résultat inférieur à nos attentes.
D'un autre côté, si je vous demande de deviner un chiffre d'un à dix, alors je pourrais dire «presque» si vous choisissez quatre ou deux, si la réponse est trois. Et on s'entend que quatre est supérieur à trois. Là-dessus, Simon avait raison.
Mais si l'objectif est trois et si on répond quatre, on a échoué. C'est donc un résultat inférieur à la réussite. Le débat se situe ici.
Simon, en toute légitimité, tentait de deviner combien de temps nous avions. Par «presque», il a compris : «c'est presque exact». Ce qui était cependant sous-entendu était : «il nous reste presque trois minutes». Cette dernière interprétation voudrait dire qu'il restait moins de trois minutes.
Simon n'avait pas tort, selon sa perspective. Si son estimation relevait de la devinette, chose que je n'avais pas perçue au départ, alors j'avais tort. Mais je maintiens que ce n'est pas le cas.
Il s'agit vraisemblablement d'une craque entre les tuiles de la communication efficace. Mais est-ce que le fait d'avoir deviné une valeur numérique supérieure rend le résultat moins inférieur à l'objectif?
À chacun de le dire. Il manque ici plein d'exemples. Si vous le voulez, on en jasera en commentaires. Qu'en pensez-vous?
P.S. Simon, si j'ai mal représenté ton point, j'en suis navré. Laisse un mot.
8 commentaires:
En toute honnêteté, bien que dépeinte objectivement par Raton et qu'il reconnaisse maintenant (tout comme moi d'ailleurs) que nous avions tout deux raison (selons l'interpétation du mot presque dans le contexte du compte-à-rebour de notre pause), il en a été autrement tout au long de la discussion.
Et il y avait un facteur aggravant, Moi. Voyez-vous comme l'a mentionné Raton, J'avais raison (fait qui ne m'échappait pas). Et même si Raton (Et sa coalition fallacieuse :P) n'avaient pas tord le fait est que j'avais raison.
Dans une telle situation, l'argumentation devient une guerre sans merci dans laquelle si je percois des failles dans mon raisonnement, je les contournes, les évites et essaie de dévier la conversation ailleurs afin qu'elles ne soient relevées.
Si l'argument qu'on m'oppose est béton mais que par un jeux de mot, de la mauvaise foi ou en citant hors-contexte je peux discréditer soit l'argument soit l'interlocuteur, je le ferait.
Une position naturelle je le crois puisque j'avais raison et que je le savais. Par contre dans une discussion ou je ne suis pas convaincu d'avoir raison je suis généralement plus civilisé (à moins d'avoir purement envie de débattre, de m'entrainer comme on soulève des altères).
Par contre pour ceux que ça intéresse, lors du débat j'ai eu très chaud quand un semi-homonyme de notre ami Raton s'est présenté spontanément avec un argument en faveur des partisants de l'infériorité (Alors que jusqu'ici ce collègue était le seul à me soutenir envers et contre tous).
Il a dit ceci (D'ailler note à moi-même, trahir ce traitre dès que l'occasion se présente) :
"Sur un gâteau qui a été entamé, si je te dis qu'il reste presque trois morceaux, tu comprendras qu'il n'en reste pas tout à fait trois (un peu moins que trois)."
Et ça m'a frappé...C'était donc dans ce sens qu'ils appliquaient leurs raisonnements. Il n'était donc pas entirèment (oserais-je le dire) fallacieux. J'ai été déstabilisé un moment. Jusqu'à ce que je réalise que moi aussi j'avais raison :)
Il restait quand même et il reste toujours un point litigieux, peut-être saurez-vous le trancher. L'utilisation du terme "presque" en voulant dire "un peu moins que". Je crois que c'est innaproprié car ça porte à confusion.
Je suis persuadé que parmis les lecteurs il y en a qui seront d'accord avec moi : Si vous demandez à quelqu'un combien de temps avant le début du film et qu'il vous réponde "presque 5 minutes", certain d'entre-vous croirons qu'ils sont dans leurs droit de penser qu'il reste en réalité un peu plus ou peu moins de 5 minutes avant le début du film.
Et si notre interprétation est légitime (ce que j'affirme) dans ce cas c'est la personne qui affirme "presque 5 minute" qui est dans le tord puisqu'elle choisi un terme trop ambigue.
Qu'en pensez-vous ?
Simon
En lisant l'article, je me disais justement que ça avait à voir avec cela : « presque (dans l'inférieur) 3 minutes » versus « tu avais presque raison »
Mais tu soulèves un point des plus intéressants, Simon. « Le film commence dans presque 5 minutes » Or j'avais pensé, justement, que le mot « presque » permettait peut-être d'aller tant du côté de l'infériorité que du côté de la supériorité ; toutefois, après une recherche dans un dictionnaire très sérieux, je n'ai pas trouvé quoi que ce soit faisant référence à cette dualité : on parlait uniquement de « l'infériorité » (j'ai eu presque 90% à un examen, donc j'ai eu moins).
Par contre, j'ai cherché de nouveau :
D'abord, dans un dictionnaire des synonymes : http://www.crisco.unicaen.fr/cgi-bin/trouvebis2?requete=presque&refer=&proc=2120_8711
On y trouve les synonymes « quasi », « à peu près », « environ », etc.
Mais je me suis dit : parfois, un dictionnaire des synonymes, c'est douteux. Parce qu'il va suggérer des mots aux sens SIMILAIRES, mais pas toujours équivalents.
Or j'ai regardé dans ce dictionnaire-ci (dico normal, pas un dico des synonymes) : http://www.le-dictionnaire.com/definition.php?mot=presque
Tout de suite, on nous suggère « environ, à peu près »
Est-ce donc Simon qui a raison ?
Lorsque tu dis, donc, « Le film commence quand ? - Dans presque 5 minutes », tu dis « le film débute dans plus ou moins 5 minutes »
Or, si le deuxième dictionnaire cité a raison, je donne raison à Simon (ou, plus directement, le dictionnaire te donne raison).
- Guillaume
@Simon : Merci, ta contribution aide à définir le coeur du débat. L'exemple du gâteau te donnait misérablement tort, et c'est un beau geste de ta part de le souligner.
@Guillaume : Ton analyse est très pertinente. Cependant, un synonyme, quel qu'il soit, et peu importe le dictionnaire, est approximatif. Si deux mots veulent dire exactement la même chose, alors l'un d'eux doit sombrer dans l'oubli.
«Environ» et «presque» sont très semblables, mais je maintiens que si j'avais dit «environ», le débat n'aurait pas eu lieu, puisque en effet, ça signifie «à peu près».
J'attends d'autres commentaires. Cette question continue d'être intéressante.
Je doute que le-dictionnaire.com se borne à remplir ses définitions de synonymes.
Même le Larousse stipule (et c'est tout ce que l'on retrouve dans la définition !) :
« À peu près, pas tout à fait »
Pas tout à fait, c'est ce à quoi tu fais référence.
À peu près, c'est ce à quoi Simon fait référence.
Il y aurait alors la question de débattre de l'usage de ces acceptions : quand faut-il user des sens « à peu près » et « pas tout à fait » (comme sous-entendus du mot presque).
Peut-être est-il fautif de dire « Le film débute dans presque 5 minutes » ; si c'était le cas, nous devrions dire à coup sûr quelque chose comme : « Le film débute dans approximativement 5 minutes »
On pourrait alors comprendre que « à peu près » s'applique autrement. Comme lorsque tu disais « presque » à Simon, la toute première fois, et qu'il comprenait « C'est presque ça (la devinette) » : c'est relativement un synonyme « d'à peu près » (« c'est à peu près cela ! »).
Ce nouveau débat est ouvert.
- Guillaume
C'est très intéressant. Je ne crois pas qu'on trouve ici une solution, malheureusement.
Les dictionnaires ne nous aideront pas. Je vous propose ce billet de Daniel Rondeau : La Norme et moi.
Il y écrit : «le dictionnaire est un portrait de la langue, et non le contraire». Le dictionnaire est donc une référence inférieure à l'usage qu'on fait de la langue. C'est donc «presque» une référence...
Je ne nie pas que d'un angle, Simon avait raison. D'un autre, j'avais également raison (de même que tous les autres qui nous entouraient).
La beauté de la chose, c'est justement qu'il pourra y avoir un débat sans fin.
Et c'est très amusant.
Au contraire, je crois qu'on peut trouver une solution.
Les dictionnaires peuvent nous aider.
Je ne suis pas d'accord avec ce Rondeau. On ne peut d'ailleurs pas faire intervenir un avis plus ou moins fondé dans un débat.
Le dictionnaire est le portrait de la langue ! C'est comme si les chimistes reniaient leur tableau périodique.
C'est comme lorsque tu disais qu'on doit respecter les règles de la langue, mais qu'une fois la règle occultée par une effroyable majorité, la règle doit changer. C'est seulement en ce sens-là que les définitions sont malléables, que « le dictionnaire est le portrait de la langue ».
Or, selon le dictionnaire, ce que Simon disait fait du sens.
Il y a donc la question de savoir si cet aspect de la définition de presque (« à peu près ») s'appliquait dans ce cas.
Et si ce n'est pas le cas, est-ce à cause d'un léger détournement de sens que Simon et moi croyions qu'il est juste de l'utiliser ?
Si ce léger détournement de sens existe « dans les faits humains » (à défaut de le retrouver dans les « faits écrits »), est-il employé par une faible proportion d'individus, ou est-il cautionné par une imposante majorité ?
Or, si « presque » au sens de « à peu près » (de telle sorte qu'on dise : le film débute dans presque 5 minutes) n'est employé que fautivement par une petite quantité de personnes, il faut cesser d'en faire usage ; si c'est une vaste majorité d'individus qui l'emploient, nous devons l'accepter.
En somme, selon moi, le débat, à ce stade-ci, se joue autour d'une analyse du sens « à peu près », histoire de savoir si ce sens s'applique dans le contexte bien connu ; si on découvre que ce n'est pas le cas, le débat se développera autour d'une observation efficace, vaste et empreinte de probité : les gens, de façon largement majoritaire, utilisent-ils « presque » pour dire, en quelques occasions, « environ » ?
- Guillaume
Le contexte fait le travail. «Presque» ne signifiait clairement pas «à peu près» à ce moment. J'ai déjà concédé que ce puisse être le cas parfois. Là n'est plus le débat.
Ne confondons pas la langue et la chimie, je t'en prie. La langue est vivante. La chimie est théorique.
Le dictionaire tente de refléter la langue telle qu'elle devient. Conséquemment, il est toujours un peu en retard par rapport à l'usage. Il ne nous est donc d'aucune utilité, puisque le débat porte sur l'usage actuel.
Es-tu le Guillaume que je crois que tu es? Si oui, et si non, bienvenue ici.
Ce débat prend beaucoup trop de votre temps.. Tout cela pour presque 3 minutes. :)
- Vizcky
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