Cette soirée dure depuis bien trop longtemps. L'une des gentilles serveuses du Café 1957 m'a réveillé pour m'inviter à partir vers trois heures. J'avais écrit des phrases de moins en moins compréhensibles sur des papiers que j'ai ensuite chiffonnés pour les placer dans mes poches. Ou quelque part. Qui sait. Peu importe.
Je marche en zig-zag sur la rue Saint-Charles depuis le Vieux-Longueuil et j'arrive près de la frontière de Saint-Lambert. J'aperçois le défunt restaurant Chellos, près du cégep Champlain. C'est un vieux building blanc qui tombe en ruines et qui me fascine à cette heure-ci. Je le contourne à la recherche d'une ouverture pour aller jeter un oeil à ce à quoi ça pouvait ressembler à l'époque lointaine où c'était un commerce florissant. Si une telle chose a déjà été une réalité.
À l'arrière, une vitrine a été fracassée et en son centre se trouve un trou d'un diamètre d'environ quatre-vingt centimètres. C'est trop haut pour m'y glisser, et y grimper m'assurerait des coupures sur les bords tranchants du verre brisé. Un escabeau de toute évidence hors d'usage traîne sur le sol, sur le côté. Je ne pense pas un instant à le soulever, et je monte plutôt sur son côté, en le laissant dans sa position initiale. C'est toujours un peu risqué de tenter de me faufiler à travers la brèche, alors je tente la seule alternative qui me vient à l'esprit.
Je m'élance et je saute, tête première, à travers la petite ouverture.
J'aurais probablement dû y penser, mais si la vitre a été fracassé, ses débris s'étalent sur le sol de l'autre côté. Je suis tout de même presque sain et sauf, allongé dans des morceaux de verre, dans une pièce qui a dû être une salle à manger à une autre époque. Tout en secouant les morceaux qui s'accrochent à mes vêtements, mes genoux et mes mains, je remarque qu'un bar donne sur cette partie de l'édifice. Je vois sur le sol un petit bout de bois, l'air d'une inoffensive massue, et je m'en équipe. Sait-on jamais ce qu'on peut rencontrer dans un endroit où je suis aussi étranger qu'inopportun. Les fantômes aussi ont le droit de dormir.
Je me déplace vers le bar, complètement noir de crasse ou d'un ancien feu qui aurait calciné des bouts mais épargné le bâtiment. À l'étage où je me trouve, plusieurs salles se succèdent, bien éclairées par les lampadaires à travers de grandes fenêtres. Je vois sur le sol un gourdin plus imposant que le petit bout de bois que je transporte. Je dépose celui-ci sur le sol pour m'emparer de cette arme à peine plus redoutable. On ne sait jamais quand surgira un rat gros comme une moufette.
Je vais rapidement voir ce qui reste des toilettes et de la cuisine. Chaque coin semble résigné au sort destructeur qui l'attend, mais j'imagine la possibilité de sauver l'endroit, et d'en faire un endroit attirant, où la jeunesse lambertoise irait passer du temps, tout juste au-delà de la frontière de la ville de Longueuil. Rappelons qu'il n'y a pas de bar à Saint-Lambert, sauf la salle de pool qui n'en est pas vraiment un.
Chemin faisant, un balai attire mon attention. Il a clairement été placé là récemment. Il s'agit d'un gros balai, et soudainement, mon gourdin a l'air d'un jouet. Je le dépose et m'empare du balai, prêt à faire face à une éventuelle attaque de mutants ou de zombies.
Mes pas me mènent finalement à l'escalier du sous-sol. Voilà où doivent se trouver les trésors! Arrivé tout juste en haut des marches, je constate qu'il y a de la lumière en bas. Pas la lumière d'une bougie, mais au moins celle d'une lampe de puissance raisonnable. Au moment où j'approche de la porte entrouverte me permettant d'y accéder, un râteau accroche mon regard. J'échange immédiatement mon balai pour cette nouvelle arme, et enfin, un moment de lucidité me frappe...
En supposant que cette lumière ne soit pas le fruit d'une sorcellerie, mais bien de la présence d'êtres humains au sous-sol de cet endroit abandonné, ai-je vraiment envie de les rencontrer? Et si ceux-ci, aussi hypothétiques soient-ils, ont suivi le même raisonnement que moi, déposant tour après tour un bout de bois, un plus gros bout de bois ayant l'air d'un gourdin, un solide balai et un râteau, seraient-ils en possession d'une machette maintenant? Selon cette logique qui me paraît implacable à ce moment, ils sont certainement munis d'un outil plus dangereux que le mien. Je renonce.
Je rebrousse chemin et j'utilise le râteau pour élargir le trou m'ayant permis d'entrer afin de ressortir sans heurt.
Me voici donc de nouveau sur les derniers mètres de la rue Saint-Charles, me dirigeant vers Saint-Lambert, où la rue devient le chemin Riverside.
Mon récit prendra ici une pause. Je ne m'en doutais pas, mais la nuit était loin d'être terminée. La suite
Si quelqu'un détient la moindre information concernant le Chellos (images, détails sur son existence ou sa fermeture, le fait que je me sois trompé de nom...), je vous prie de me les communiquer par commentaires.
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